Essentiellement tourné vers les grandes et très grandes entreprises, la place prépondérante accordée à la négociation d’entreprise et notamment les accords « offensifs » sont autant de dispositifs inadaptés aux TPE-PME.
Elles qui espéraient des mesures concrètes de simplification et de facilitation du Droit du travail, non pour pénaliser les salariés, mais bien pour faciliter la création d’emplois.
De ce point de vue c’est donc une occasion manquée. Voici ce qu’il reste du projet de la loi El Khomri adopté le 12 mai par l’Assemblée en première lecture, via le recours au 49.3 par le gouvernement où il a retenu 469 amendements sur les plus de 5000 déposés par les députés.
Prochaine étape: le texte sera examiné au Sénat à partir du 13 juin. Que contient-il? Voici ses mesures clés.
Rôle des branches professionnelles
Le gouvernement l’assure, les branches continueront de jouer un rôle essentiel de régulation économique et sociale de la concurrence entre les entreprises et de définition du « socle social » applicable à tous les salariés (salaires minimums, classifications, complémentaires santé…).
En revanche, leur nombre sera drastiquement réduit de 750 actuellement à 200 dans trois ans, en passant par une étape intermédiaire à 400 à la fin de l’année 2016.
Durée de travail
L’un des points les plus contestés par une partie des syndicats de salariés : la primauté des accords d’entreprise en matière de durée de travail sur les accords de branche (Art. 2 du projet de loi). Ces derniers dénoncent une inversion de la hiérarchie des normes, chère aux grandes entreprises adhérentes au Medef, mais ces dérogations avaient déjà été introduites par de précédentes lois, comme en 2004 et 2008.
La durée légale du travail reste de 35 heures, mais les accords d’entreprise prévoyant des aménagements différents de ceux prévus au chapitre VII de notre Convention Collective Nationale (CCN), relatif à la durée du travail, priment dans la plupart des cas.
– Un accord d’entreprise pourra ainsi fixer un taux de majoration des heures supplémentaires qui ne pourra être inférieur à 10%, au lieu des 25% pratiqués de la 36ème à la 43ème heure.
– Dans le projet de loi, la durée maximale quotidienne de travail (10 heures) peut être portée à 12 heures maximum, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise et la possibilité de passer à une moyenne hebdomadaire de travail de 46 heures (au lieu de 44) sur 12 semaines, qui nécessite actuellement accord de branche et décret, est assouplie: un accord d’entreprise suffira. Mais ces durées étaient déjà possibles dans le cadre des dispositions relatives à la « Période de suractivité » de l’article VII.3.2 de notre CCN.
Les branches dresseront chaque année un bilan des accords d’entreprise et pourront formuler des « recommandations », veillant notamment aux conditions de concurrence intra-branche.
Accords « offensifs » en vue de la préservation ou développement de l’emploi.
Le projet de loi entend ainsi permettre aux entreprises d’ajuster leur organisation mais le salaire mensuel de base du salarié ne pourra être diminué, seules les primes et les heures supplémentaires pourront être concernées. Insuffisant donc pour permettre aux entreprises de faire face aux chocs conjoncturels. Le recours au chômage partiel restera donc plus efficace pour l’entreprise.
Les salariés refusant de tels accords feront l’objet d’un licenciement pour « motif spécifique », qui suivra la procédure d’un licenciement individuel pour motif économique, mais sans les mesures de reclassement. Ces salariés bénéficieront d’un « parcours d’accompagnement personnalisé », assuré par Pôle Emploi et financé pour l’essentiel par l’Etat.
Avec qui négocier un accord d’entreprise ?
Dans les entreprises avec représentation syndicale, les syndicats doivent parvenir à des « accords d’entreprise majoritaires ». Faute de majorité, les syndicats minoritaires (représentant plus de 30 %) pourront demander un référendum pour valider l’accord.
Dans les entreprises sans représentation syndicale, le plus courant dans notre branche, les employeurs pourront négocier soit avec des salariés mandatés par un syndicat soit avec leurs élus du personnel mais la procédure de validation sera alors différente, avec l‘intervention obligatoire de la commission paritaire nationale de branche compétente.
Congés exceptionnel et protection contre le licenciement
Le congé exceptionnel d’un salarié en cas de décès d’un enfant est porté de deux à cinq jours. Celui pour la mort des parents et beaux-parents, d’un frère ou d’une sœur, passe d’un à deux jours. Ces durées restent inférieures ou égales à celles prévues par l’article VIII .4.6.7 et .8 de notre CCN
La période d’interdiction du licenciement pour les mères revenant de congé maternité est allongée de 4 à 10 semaines.
Licenciement économique, des difficultés économiques appréciées selon la taille de l’entreprise (Art.30 du projet de loi).
Les critères des licenciements économiques sont précisés dans la loi et différenciés selon la taille des entreprises.
Il pourra y avoir licenciement économique en cas de « baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires », en comparaison avec la même période de l’année précédente. Il faudra que cette baisse soit d’au moins un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés, deux trimestres consécutifs pour une entreprise de 11 à moins de 50 salariés, trois trimestres pour une entreprise de 50 à moins de 300 salariés, quatre trimestres pour une entreprise de 300 salariés et plus.
Le périmètre d’appréciation des difficultés économiques d’une entreprise reste celui actuel, fixé par la jurisprudence, avec une appréciation au niveau international. Le projet initial de texte prévoyait de restreindre le périmètre aux filiales françaises pour un groupe, faisant craindre des abus.
Compte personnel d’activité (CPA)
Présenté comme une grande réforme sociale du quinquennat, le CPA regroupera, à partir de 2017, le compte personnel de formation (CPF), le compte pénibilité (C3P) et un nouveau « compte d’engagement citoyen ». Il sera ouvert aux retraités et aux travailleurs indépendants.
Médecine du travail
Plus de visite médicale à l’embauche systématique, sauf pour les postes à risque.
Garantie jeunes
Pour les jeunes ni en emploi, ni en étude, ni en formation professionnelle, généralisation dès 2017 du « droit » à la garantie jeunes, sous condition de ressources: accompagnement renforcé vers l’emploi et allocation mensuelle de 461 euros, pendant un an.
Par ailleurs, pour les moins de 28 ans diplômés depuis moins de trois mois, création d’une aide à la recherche du premier emploi, accordée durant quatre mois.
Déconnexion numérique
A partir de 2017, les modalités du « droit à la déconnexion » feront partie des sujets abordés lors de la négociation annuelle en entreprises en cas de délégués syndicaux d’entreprise.
Lutte contre le détachement illégal
Renforcement des obligations des maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre en cas de recours à des prestataires établis à l’étranger et transposition partielle de la proposition de directive européenne sur les travailleurs détachés, concernant l’intérim.
Appui aux PME-TPE
Création d’un « service public territorial de l’accès au droit » pour aider notamment les entreprises de moins de 300 salariés. Une entreprise ayant suivi les procédures prescrites par l’administration pourra attester de sa bonne foi.
Les branches pourront négocier des accords-types applicables unilatéralement par les employeurs d’entreprises de moins de 50 salariés.
Moyens syndicaux
Hausse de 20% des heures accordées aux délégués syndicaux dans les entreprises de 50 salariés et plus. Sans impact sur l’article II.4 in fine de notre CCN qui accorde lui 5h par mois aux délégués syndicaux dans les entreprises de 11 à 49 salariés.
Représentativité patronale
Une transcription de l’accord conclu entre les organisations patronales interprofessionnelles (MEDEF, CGPME, UPA) sur la mesure de l’audience patronale, très favorable au MEDEF.
Le mouvement « les TPE-PME refusent d’être bâillonnées » lancé le 18 avril dernier a permis de constater la très forte mobilisation des artisans, commerçants, professionnels libéraux et des acteurs de l’économie sociale et solidaire, prouve le profond malaise qui traverse ces entreprises face au projet de loi El Khomri.
Les TPE-PME ne méritent pas d’être écartées du dialogue social alors qu’elles sont des acteurs essentiels de la vie économique des territoires. Elles représentent 98% des entreprises du pays et sont le socle de l’emploi de proximité, non délocalisable. Leur rôle est essentiel dans l’insertion professionnelle et elles ont un fort potentiel de croissance et de développement qu’il faut soutenir.
La presse en parle :
http://www.batiactu.com/edito/loi-travail-gouvernement-passe-force-44864.php