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L’inexplicable désaffection des architectes pour la formation continue

Préambule

Indéniablement, les temps sont difficiles pour les architectes. La profession doit faire face à une diminution importante de la commande, tant publique que privée. Cette situation entraîne une diminution de la rémunération, certains n’hésitant pas à vendre leurs prestations en dessous de leurs prix de revient.

Bien entendu, cette situation est due à la “crise” qualifiée parfois de “durable”en oubliant qu’une situation qui empire d’année en année depuis longtemps n’est pas une crise, mais une mutation. Retenons toutefois le terme de crise que les Japonais définissent par les deux idéogrammes signifiant “Dangers” et “Opportunités”. Le pessimisme hexagonal ne voit bien entendu que les dangers en oubliant totalement les opportunités.

Le monde évolue. Les attentes et les exigences individuelles et sociétales augmentent, entraînant de nouvelles obligations réglementaires d’actions et de formations ouvrant ainsi la porte à de nouvelles opportunités.

Essayons de voir ce qu’il en est sur le seul plan thermique, dont les premières obligations remontent à 1974, mais en très nette augmentation depuis que l’on a corrélé le réchauffement climatique à la combustion des énergies fossiles.

Les dangers

Par « Danger », nous entendons l’absence de sécurité de la personne et de l’agence sur les plans techniques, financiers, de pérennité et de respectabilité.

L’insuffisance des connaissances thermiques de base

Le temps passé à l’acquisition des connaissances liées à l’ambiance climatique dans différentes écoles d’architecture françaises donnant ce type de renseignement varie de 35 à 70 heures en fonction de l’orientation des études. C’est certainement insuffisant pour acquérir les connaissances, voire les notions de bases sur :

  • Les différentes formes d’énergie, la chaleur, l’entropie…
  • Les échanges de chaleur
  • Le métabolisme humain et le confort physiologique
  • Les principes de base de la thermodynamique
  • Les équipements de production d’énergie (énergies conventionnelles et renouvelables)
  • Les équipements d’émission de la chaleur et de régulation
  • Les équipements de récupération de l’énergie
  • Les spécificités thermiques de l’habitat ancien
  • La thermique du bâtiment, la ventilation, la perméabilité à l’air de l’enveloppe, les caractéristiques des matériaux …

Cette insuffisance se traduit en particulier par l’absence de tout ordre de grandeur. Alors que sur des ouvrages courants l’architecte se trompe rarement sur les prédimensionnements de structure, il est totalement démuni pour définir l’épaisseur approximative correspondante à un coefficient donné de déperdition thermique. Quant aux isolants sous vide, certains les confondent avec les « isolants » minces !

Cette insuffisance de formation initiale positionne l’architecte en situation de dépendance vis-à-vis de ses partenaires de conception. Souvent, cette faiblesse est renforcée par l’absence de culture partagée du projet entre l’architecte et les indispensables spécialistes.

La méconnaissance des textes réglementaires

Les dangers de la RT 2012

“Moi je m’appuie sur mon bureau d’études”

Certes, mais celui-ci n’a pas vocation à connaître les obligations de l’architecte ou du descripteur! C’est ainsi que se préparent les litiges d’aujourd’hui et les contentieux de demain.

La méconnaissance des textes réglementaires, dont les premiers sont parus il y a trois ans[1] entraîne des oublis de prescriptions ou des prescriptions incomplètes entrainant à leur tour des dépenses imprévues, des litiges ou des contentieux générant pour chaque personne concernée pertes de temps, d’argent et pour les architectes, perte de considération professionnelle avec les connaissances que l’on sait sur l’image que se font les profanes sur la profession toute entière.

Par ailleurs, le temps inutile consacré à corriger les conséquences de cette ignorance s’oppose au temps utile nécessaire à la rédaction des nouveaux articles ou documents qui s’imposent.

Sur l’aspect thermique réglementaire les architectes dans leur grande majorité ne savent pas qu’ils ne savent pas et en sont au premier niveau du processus d’apprentissage! Alors que, dans un récent sondage du Moniteur, 59% des architectes estimaient être opérationnels vis à vis de la RT 2012, je suis amené à constater quotidiennement la méconnaissance par la plupart des nouvelles obligations réglementaires. L’article 23 de l’arrêté du 26 octobre 2010 sur les mesures des consommations en est une bonne illustration: dans l’ignorance de celui-ci, on voit mal comment peut être établi le descriptif correspondant à cette obligation !

Travailler ensemble

C’est la vraie révolution de cette réglementation. Les études de conception ne peuvent plus s’effectuer de façon séquentielle: l’architecte dessine puis autorisations administratives puis l’ingénieur calcule. Désormais, une approche collaborative est indispensable.

Savoir travailler avec les autres n’est pas inné, livrer des prestations conformes dans les délais non plus. Le chef de projet doit maîtriser le management de projet (et non le management du projet d’architecture connu à priori).

La méconnaissance de l’évolution thermique et environnementale

Vraisemblablement, la réglementation de 2020 élargira son champ thermique à la prise en compte d’autres aspects tels que l’énergie grise, les déplacements, la qualité de l’air, le CO2… On sait d’ores et déjà que la couverture énergétique par des énergies renouvelables de l’ensemble de ces consommations en milieu urbain dense ne sera pas possible à l’échelle du bâtiment. Il faudra donc l’étendre à une échelle plus vaste (ilot, quartier, bourg…).

L’inexplicable désaffection pour la formation

Cette situation ne serait pas très grave puisque la formation continue permet d’acquérir ces connaissances qui auraient fait défaut lors de la formation initiale ou rendues nécessaires par les diverses évolutions sociétales ou techniques. On peut constater que l’organisme de formation des architectes, le GEPA, est plutôt anticipateur de ces évolutions.

Survient alors un terrible constat : les demandes de formation des architectes et leurs collaborateurs sont en chute libre. Dès lors, on peut s’interroger sur l’explication de cette désaffection. Est-ce

  1. Un manque de disponibilité ?
  2. Un manque de trésorerie ?
  3. Un manque de confiance dans l’avenir ?

Le premier point ne tient pas quand on sait qu’environ 20% du temps d’une agence moyenne d’architecture sert à reprendre, refaire, régler des litiges, bref à régler la non-qualité dont il est à l’origine ou qu’il subit. Précisément, une formation adaptée sur les plans contractuels, techniques et méthodologiques permettrait de réduire sensiblement ce temps gaspillé.

Le deuxième point ne tient pas non plus dans la mesure où les formations déterminantes et qualifiées de prioritaires par les fonds professionnels de formation sont plutôt bien remboursées. En outre, les 20% de temps gaspillé représentent un coût : celui de la non-qualité !

On peut penser que le troisième point peut être légitime. Mais n’est-il pas plutôt révélateur d’une obsession des dangers et d’un manque de discernement des opportunités ?

Quelques nouvelles opportunités

Les exemples proposés ne constituent que des exemples et ne sauraient être exhaustifs.

Architecte-énergéticien

Une récente étude de l’UFC-Que choisir relative à la rénovation thermique de maisons individuelles montrait une attente d’ « architectes-énergéticiens indépendants capables d’accompagner le consommateur dans un projet de rénovation énergétique globale » sachant réaliser un audit énergétique, pouvant prendre en 
charge la maitrise d’œuvre et l’accompagnement du maître d’ouvrage à la fin des travaux « afin de garantir l’atteinte 
de la performance énergétique ».

Assurément, les consommateurs sont effrayés d’avoir à traiter avec des entreprises séparées pour des travaux techniques et redoutent des désagréments d’usage et financiers. Assurément, par son approche généraliste et sa connaissance du bâti, l’architecte est le mieux placé pour répondre à cette demande.

Toutefois, cette demande est conditionnée par plusieurs impératifs

Savoir réaliser un audit énergétique et proposer des solutions techniques adaptées compatibles facteur 4 échelonnées dans le temps si nécessaire ;

Savoir proposer une offre globale financière avec des responsabilités claires sachant qu’une mission classique de maîtrise d’œuvre pour des travaux de l’ordre de 40 000 euros est parfaitement irréaliste sur le plan économique.

Disposer d’une vision managériale de la réalisation : l’intervention en site occupé nécessite un travail de planification, des garanties et une organisation quasi impossibles avec des intervenants différents à chaque opération.

Sur le plan administratif et financier

Faire un travail plus efficace par

  • la réduction des temps inutiles consacrés à la reprise de prestations incomplètes, erronées ou mal anticipées ;
  • une approche de conception sans retour en arrière par un management collaboratif associant le cas échéant le maître d’ouvrage ;
  • la mutualisation, sinon l’association des petites structures en s’assurant de la complémentarité des compétences.

C’est du management et on ne naît pas manager, mais on peut acquérir

Sur le plan des solutions architecturales et techniques (neuf)

Une des particularités de l’architecte est de concevoir des lieux de vie pour l’homme, les plus confortables possible, et ce en toutes saisons. L’augmentation de l’isolation de l’enveloppe conduit à des puissances si faibles que la plupart des équipements traditionnels (en particulier d’émission) vont devenir obsolètes.

Sur le plan des matériaux c’est généralement l’architecte qui en fait le choix. Quelles qu’en soient les raisons, celui-ci entraîne l’ensemble des autres caractéristiques liées à ce matériau entrainant, à son tour, le confort ressenti par l’occupant à proximité du matériau mis en œuvre. Très prochainement, les matériaux devront être choisis en fonction de critères multiples et il est essentiel que l’architecte maîtrise parfaitement les tenants et les aboutissants de son choix.

Si les architectes n’anticipent pas les réglementations futures et ne sont pas à la recherche de solutions faiblement énergétivores lors de la construction et de l’exploitation d’autres le feront à leur place et peut-être avec moins de sensibilité.

Là aussi, pour agir et anticiper, il faut s’assurer de la mise à niveau permanente de ses connaissances.

Sur le plan des solutions de rénovation énergétique

L’architecte-énergéticien dont il est question ci-dessus est plutôt concerné par la maison individuelle. Il reste toutes les autres catégories de logements ainsi que les bâtiments tertiaires. Chacune de ces catégories requière des connaissances du milieu, de ses règles et demande une réponse adaptée. Ainsi, il est illusoire de penser à rénover thermiquement des copropriétés si l’on n’est pas sachant de la réglementation à laquelle sont soumises ces copropriétés, le rôle des divers intervenants, le délai nécessaire…

Certains bâtiments requièrent une sensibilité architecturale toute particulière et des connaissances techniques spécifiques. D’une façon générale, il s’agit des immeubles existants antérieurs à 1940, c’est-à-dire tous les centres-villes de France, les maisons rurales…

Ici aussi, une formation adaptée s’avère nécessaire.

Sur le plan des solutions urbaines

N’est-il pas étonnant de constater que les seuls à travailler sur l’habitat de demain, soient les majors du bâtiment. Pourquoi les architectes sont-ils si silencieux sur ce sujet ?

Conclusion

Notre monde complexe en pleine mutation génère indéniablement des dangers. Mais il génère également de formidables opportunités. A chacun d’être à l’écoute de l‘environnement dans lequel il vit, de le décoder et de proposer des solutions adaptées.

Quelle que soit la qualité de la formation initiale reçue, personne ne peut prétendre que cette formation est suffisante pour appréhender les modifications de notre monde. Les architectes ne font pas exception à cette règle et s’ils veulent être un acteur fiable et reconnu pour ses compétences il leur leur est nécessaire de prouver ce professionalisme en acquérant ou en complétant leurs connaissances

  • techniques
  • juridiques (notamment sur le droit des contrats)
  • organisationnelles

Certes la formation est un investissement, mais certaines formations pragmatiques peuvent présenter des temps de retour de l’ordre du mois. Connaissez-vous meilleur placement ?

Enfin, il peut être bon de rappeler les 4 niveaux de l’apprentissage en n’oubliant pas pas que plus le niveau est faible, plus grands sont les risques :

  1. Inconsciemment, incompétent
On ignore que l’on ne sait pas
  1. Consciemment, incompétent
On sait qu’on ne sait pas
  1. Consciemment, compétent
On sait que l’on sait
  1. Inconsciemment, compétent
On ne sait pas (plus) que l’on sait

 [1] on ne pourra pas dire que l’on a été pris en traite…

 Photo JA2

Jacques ALLIER, Consultant

Ancien président du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes de Franche-Comté

Ancien membre du Conseil National de l’Ordre des Architectes

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