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Construction : Le conseil d’Etat et la clause dite « Molière »

http://www.lemoniteur.fr/article/l-unsfa-veut-davantage-de-moliere-sur-les-chantiers-35116795

Le Conseil d’État vient de valider une exigence formulée par des maîtres d’ouvrage publics qui ont voulu imposer la compréhension de la langue française sur les chantiers.

On peut penser que les cahiers des charges qui imposaient cette compréhension ont été trop exigeants, en imposant l’intervention d’interprètes professionnels.
Et les maîtres d’ouvrage n’ont argumenté qu’au titre de la sécurité des travailleurs et nullement au titre de la qualité des ouvrages, qui pourtant, peut être gravement compromise si les compagnons au travail ne maîtrisent pas la langue française dans laquelle sont rédigés les cahiers des charges, les notices techniques, les modes d’emploi (notamment du matériel de chantier, précieux et souvent dangereux), ainsi que les indications données sur place au fur et à mesure de l’exécution des travaux.
On va donc reprendre ce sujet, par une brève analyse des arguments dans les deux sens.

Les arguments contre l’usage de cette clause
Pour des raisons obscures, cette clause a été présentée sous une forme tronquée en ne l’évoquant qu’au regard des travailleurs détachés, y compris dans un texte officiel qui déclare illégale « la clause rendant obligatoire la langue française sur les chantiers dans le but de limiter le travail détaché ».
Ces termes sont justifiés au regard de la libre circulation des personnes et des services au sein de l’Union européenne.
Mais ces mêmes termes signifient que si la compréhension de la langue française était imposée pour d’autres raisons, elle ne serait plus illégale !

Un juriste éminent juge illégale cette clause avec un argument qu’il juge imparable : la Constitution donnerait à quiconque la « liberté de parler la langue qu’il souhaite et de ne pas comprendre le français ».
Tout d’abord, il est utile de rappeler l’article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français ». Ce rappel n’est donné que pour signifier que toute communication officielle doit l’être dans la langue française.
Par conséquent, il paraît douteux qu’une personne, certes « libre » de ne pas comprendre le français, pourrait, à ce titre, s’exonérer du respect des indications ou interdictions données en français dans l’espace public.
Personne ne lui interdit de se cantonner à sa propre langue, mais il lui appartient de se débrouiller et d’être aidé afin de respecter les textes écrits en français.
C’est d’ailleurs l’une des fonctions des guides qui accompagnent les touristes.

Allons plus loin : dans la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », son article 4 énonce : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
On en déduit aussitôt que la liberté de ne pas comprendre le français peut être limitée là où elle pourrait entraîner des conséquences dommageables .

Autre aspect de la question : les informateurs hostiles à la clause évoquent alors l’obligation qu’auraient les entrepreneurs de faire appel à des « interprètes ». Comme ce terme évoque immédiatement les « interprètes de conférence » (professionnels éminents du fait même de leur extraordinaire agilité intellectuelle), ils en déduisent qu’une telle exigence pour de « simples »*1 marchés de travaux serait disproportionnée.

Gardons raison
En tant que professionnels, les architectes entrevoient plusieurs justifications à l’inclusion d’une telle clause (rédigée en tenant compte de ce qui suit) dans les marchés de travaux : – la qualité des ouvrages, – la sécurité sur les chantiers, – le respect de toutes les réglementations (par exemple le code du travail).

Il ne suffit pas de bien décrire un ouvrage pour qu’il soit bien exécuté ; l’une des difficultés est que les matériaux, les équipements, les matériels, les techniques et les outils évoluent constamment (progressent même dirons-nous) ; les compagnons, qui ont bien travaillé hier, peuvent tout « rater » le lendemain, s’ils n’ont pas compris les indications adéquates, qu’elles émanent des autres acteurs ou de la lecture de multiples notices et modes d’emploi.
Tout le monde doit participer à la recherche de qualité.
Même si l’architecte dirige « l’exécution des marchés de travaux » (ce qui signifie qu’il ne s’adresse officiellement qu’au chef d’entreprise et à ses représentants) et n’a pas à surveiller le travail de chaque ouvrier, c’est aussi sur place, au milieu des intervenants, que des corrections ou améliorations peuvent être apportées aux ouvrages *2 .
Quel désarroi lorsque, ni le chef d’équipe, ni les ouvriers ne parlent le français ! L’impossibilié d‘expliquer laisse la porte ouverte à toutes les non-qualités et erreurs.

Il est à peine nécessaire de rappeler que la sécurité d’un chantier est l’affaire de tous.
Cette sécurité est d’autant plus difficile à assurer que, dans la construction, l’allotissement *3 met en présence plusieurs dizaines d’entreprises n’ayant aucun lien contractuel entre elles.
Il faut vraiment être resté toute sa carrière cantonné dans ses bureaux pour oser prétendre que la sécurité d’un chantier peut être assurée avec plusieurs entreprises (coactivité) ayant des compagnons ne comprenant pas le français (et ne parlant même pas la même langue étrangère) ! Et ceci, quels que soient le sérieux et la vigilance du coordonnateur SPS, qui ne sera pas plus compris sur place que l’architecte, alors qu’il peut avoir à prendre des décisions immédiates.

Autre préoccupation de nature réglementaire : l’inspecteur du travail qui vient vérifier la situation régulière des personnes sur un chantier, à quelle force publique devra-il faire appel face à des ouvriers ne répondant à aucune question (même pas le nom de l’entreprise) et imperméables à toute menace de sanction ?

Quant au caractère disproportionné de la nécessité d’un interprète, il faut vraiment être de mauvaise foi pour ne pas avoir compris qu’un chef d’équipe (permanent) parlant à la fois le français et la langue de ses compagnons est évidemment l’interprète le plus adapté et opérationnel sur un chantier.

 A quelles entreprises s’applique la clause Molière ?
Contrrairement à ce que racontent les personnes hostiles, cette clause imposant la compréhension du français par soi-même ou par personne interposée s’adresse à toutes les entreprises, et prioritairement aux entreprises françaises.
Car il est inadmissible qu’un entrepreneur puisse envoyer sur un chantier uniquement des personnes ne parlant pas le français et incapables (en l’absence de chef d’équipe bi ou multilingue), de dialoguer avec le maître d’ouvrage, l’architecte, l’ingénieur, le coordonnateur SPS, l’inspecteur du travail, les compagnons des autres entreprises, et toute personne autorisée à connaître un chantier.

La conclusion est limpide : loin d’être une mesure discriminatoire, la clause imposant la compréhension de la langue français (par soi-même ou par personne interposée), est une mesure de bon sens, nécessaire, à la fois pour la qualité des ouvrages, la sécurité des chantiers et le respect des règles de toutes natures.

[*1] « Simples » seulement pour les ignorants de ce qu’est réellement la construction : une des activités les plus complexes à réussir (démonstration facile sur demande).

[*2] Le plus courant est l’ouvrier qui justifie son travail par un péremptoire « On a toujours fait comme cela ! » Alors, il n’est que temps de changer de braquet !

[*3] On n’ignore pas qu’avec une entreprise générale, il y aura à peu près le même nombre d’entreprises, mais dans cette situation, le lien de chacune d’elles avec l’entrepreneur général rend un peu plus aisée la gouvernance de la sécurité.

Nous faisons le constat que sur les chantiers de nombreuses personnes parlent peu ou pas le français et ceci de plus en plus.
Travailleurs détachés, salariés, auto entrepreneurs, sous traitants en cascade, toute la main d’œuvre du bâtiment semble touchée.
Le débat sur la clause Molière nous semble utile et même indispensable. Les situations de crise deviennent fréquentes : non compréhension des règles de sécurité, de vie commune (propreté etc …),
consignes non comprises, petits conflits inhérents à la nature même de tout chantier (mise en commun de différents corps d’état et savoir faire) non réglés parfois même apparition de la violence. Les ouvriers échangent moins entre eux, les chantiers sont organisés par nationalités séparées. Les chantiers perdent en efficacité et pas seulement les chantiers à haute technicité . Notre métier d’architecte en est modifié.
Lorsque nous sommes chargés d’une mission complète (ce que nous espérons le plus souvent) nous sommes impactés par l’évolution de cette situation. Passer plus fréquemment sur les chantiers, vérifier que les dernières consignes sont bien passées, que les ouvriers travaillent avec les bons plans devient central dans nos préoccupations.
Face à cela tout le monde réagit, entrepreneurs et maîtres d’ouvrages mais aussi les législateurs. La clause Molière est suspectée d’être anti européenne, « anti travailleurs détachés » et protectionniste, discours souvent développés par des personnes étrangères au monde du bâtiment qui prétendent que sur un chantier «on ne communiquerait que par signes ».
C’est donner bien peu d’estime à ces ouvriers.
Pourquoi la formation professionnelle d’un ouvrier, quel que soit son statut, ne commence t-elle pas par un bon apprentissage du français ? Les cotisations patronales et salariales contribuent à la formation permanente nous semble t-il.
Les possibilités de financement sont peut être déjà là (les filières du bâtiment auraient du mal à dépenser toutes les sommes récoltées par les cotisations ?)
Pourquoi ne pas encourager fortement l’apprentissage du français, combattre l’illettrisme dans le cadre de la formation professionnelle d’une part, et exiger l’application de la clause Molière dans les marchés publics d’autre part ? La combinaison de ces deux axes serait-elle efficace ? En tout cas nous ne pouvons pas ne rien

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